Découverte d’une lettre de Rimbaud – Frédéric Thomas

« Je serai libre d’aller mystiquement, ou vulgairement, ou savamment » :

Découverte d’une lettre d’Arthur Rimbaud

 

 Découverte exceptionnelle[1] : une lettre autographe, inconnue jusqu’à présent, d’Arthur Rimbaud. Celle-ci se trouvait dans les archives familiales de Jules Andrieu (1838-1884), dont l’un des descendants, arrière-petit-fils du Communard, vient de composer et de mettre en ligne sa biographie : C’était Jules. Jules Louis Andrieu (1838-1884). Un homme de son temps[2]. Si, dans l’impossibilité actuelle de consulter l’original (nous n’avons eu accès qu’à un fac-similé), en raison de la succession en cours, il convient de demeurer prudent, l’origine et le (supposé) destinataire, l’écriture, au sens graphologique et, surtout, la teneur et l’esprit de cette lettre invitent à conclure qu’elle est authentique. Analysons brièvement son contexte et son contenu, en essayant de dégager les raisons qui nous portent à croire que son auteur est bien Rimbaud.

SITUATION

La lettre est datée du 16 avril 1874. Rimbaud réside alors à Londres depuis au moins quelques semaines. C’est son quatrième séjour dans la capitale anglaise. Il y est en effet revenu, cette fois accompagné non pas de Paul Verlaine, incarcéré, depuis l’été précédent, après avoir menacé de tirer sur son compagnon en pleine rue à Bruxelles, mais d’un autre poète : Germain Nouveau (1851-1920). Celui-ci est à peine plus âgé que Rimbaud, et les deux hommes, qui se sont rencontrés peu de temps auparavant, semblent être partis pour la capitale britannique de manière précipitée[3].

L’adresse indiquée au bas de la lettre – 30 Argyle square, Euston Rd. W.C. – sera reprise quelques semaines plus tard dans une petite annonce publiée par Nouveau dans un journal londonien. S’agissait-il de leur logement ou d’une agence qui servait de boîte aux lettres aux deux hommes[4] ?

La date du 16 avril 1874 est également significative. Une dizaine de jours plus tôt, le 4 avril exactement, Nouveau et Rimbaud s’étaient inscrits à la bibliothèque du British Museum. Était-ce pour se consacrer à cette « Histoire splendide » dont il est question dans la lettre ? Il n’existait pas jusqu’à présent de lettre connue de Rimbaud en 1874[5] ; année au cours de laquelle, il travaille à l’écriture et/ou à la retranscription (un poème et une grande partie d’un autre ont été recopiés par Nouveau) des Illuminations. On sait qu’il a remis les manuscrits à Verlaine en février 1875. Plus radicalement, cette lettre occupe un point névralgique entre la période poétique et le silence de Rimbaud.

 

LE DESTINATAIRE

Mais qui est Jules [Louis] Andrieu, dans les archives duquel se trouve cette lettre ? Et celui-ci en est-il le destinataire (le « Monsieur » en question) ? Né à Paris le 30 septembre 1838, il fut à la fois pédagogue, journaliste et poète, auteur de nombreux livres, où se déclinent sa curiosité intellectuelle et l’étendue de ses savoirs : L’Amour en chanson (1859), Histoire du Moyen-Age (1866), Philosophie et Morale (1867)… Passionné et grand travailleur, il dirige, de 1863 à 1870, un cours d’enseignement secondaire destiné aux classes populaires ; cours suivi entre autres par Henri Tolain et Eugène Varlin, futurs dirigeants communards. De 1868 à 1870, il collabore au Grand Dictionnaire du XIXe siècle, dirigé par Pierre Larousse, et pour lequel il rédige nombre de notes concernant des sujets aussi variés que : « Espace, Temps, Série, Rapport, Différence, Inférence, Sensibilité, Main, Sciences occultes, Poésie populaire, Démopédie, Pédagogie, Vocations (éclosion des), Empédocle, Dally, J.-B. Delestre, Paracelse, Politesse, Misanthropie, Laid (théorie du), Hydrothérapie, Kinésithérapie, Kalevala, Symétrie, Ellipse (astronomie et philosophie) »[6].

Il fut aussi l’un de ces « poètes de l’Hôtel de Ville de Paris », aux côtés de Léon Valade et Albert Mérat, dont il préfaça, sous le pseudonyme de Louis Capelle, le recueil de 1863, Avril, mai, juin[7]. Pour autant, alors qu’il fréquente le salon d’Antoine Cros et, plus furtivement, celui de Leconte de Lisle, et qu’on retrouve son nom, en mai 1867, dans La Gazette rimée (n°4), aux côtés de son ami Paul Verlaine – devenu également employé à l’Hôtel de Ville –, il ne participe ni aux publications du Parnasse contemporain ni aux activités des Vilains Bonshommes au sein desquels se manifestent Valade, Mérat et Verlaine.

Il est encore une figure importante et autorité morale, quoique discrète, de l’opposition littéraire et politique à l’Empire – il rencontre régulièrement, parmi d’autres, Jules Vallès et Hippolyte Prosper Olivier Lissagaray au café de Madrid –, qui, à la fin des années 1860, se développe et se radicalise. Les rares témoignages que nous avons sur lui, soulignent sa force de caractère et son influence. En avril 1870, il participe à la campagne de la candidature du républicain démocrate Ulric de Fonvielle, aux côtés d’une autre figure de ce milieu intellectuel : Georges Cavalier, mieux connu sous le pseudonyme de Pipe-en-bois[8]. Journaliste, rédacteur de La Marseillaise, dont Henri Rochefort est le rédacteur en chef, de Fonvielle est présent lors de l’assassinat, début janvier 1870, de Victor Noir par Pierre Bonaparte, cousin de l’Empereur, qui provoqua une grande émotion et fut à l’origine d’une manifestation monstre qui faillit tourner à l’émeute.

D’abord chef du personnel de l’administration communale, Andrieu est, le 16 avril 1871, élu comme membre de la Commune de Paris, et devient chef des services administratifs. Au sein de la Commune, il vote contre l’instauration d’un Comité de salut public et signe le manifeste de la minorité. À la fin de la Semaine sanglante, il réussit à se cacher, puis à échapper à la répression, et à se réfugier à Londres. De cette expérience, il nous a livré un document précieux et important, rédigé en 1871, ses Notes pour servir à l’histoire de la Commune de Paris de 1871[9], et qui « tranchent par leur intelligence des événements, considérés d’un œil libre et critique » selon Bernard Noël[10]. Après l’amnistie de 1880, déjà malade, il est nommé sous l’intervention de Gambetta, vice-consul de France à Jersey. Il y meurt peu de temps après, en février 1884.

 

UNE CONSTELLATION POLITICO-CULTURELLE

Lorsque Verlaine et Rimbaud débarquent pour la première fois à Londres, en septembre 1872, ils rendent visite à Andrieu, et demeureront en contact, comme en témoigne la correspondance de Verlaine. Andrieu et Vermersch représentent d’ailleurs les amis les plus proches de Verlaine à Londres, et ceux que Rimbaud et lui fréquenteront le plus[11]. Le nom d’Andrieu apparaît également dans la lettre du 7 juillet 1873 de Rimbaud à Verlaine, qui, après une énième crise amoureuse entre les deux hommes, a quitté Londres sur un coup de tête : « Tu veux revenir à Londres ! Tu ne sais pas comme tout le monde t’y recevrait ! Et la mine que me ferait Andrieu et autres s’ils me revoyaient avec toi »[12].

Jules Andrieu participe en réalité d’un micro-réseau. Le travail réalisé par Denis Saint-Amand pour mettre en évidence « une certaine homogénéité générationnelle », sociale, culturelle et politique au sein des membres du cercle zutiste à Paris, que Rimbaud découvrit par l’intermédiaire de Verlaine, à partir de l’été 1871, doit s’étendre aux proscrits communards rencontrés à Bruxelles et à Londres[13]. De même, la « relative homologie entre les pouvoirs littéraire et politique » décelée par Saint-Amand pour les zutistes est plus marquée encore au sein de cette confluence d’exilés.

Appartiennent à ce micro-réseau, Pipe-en-Bois, condamné à dix ans de bannissement suite à sa participation à la Commune de Paris (il travaillait justement sous les ordres d’Andrieu), que Verlaine et Rimbaud retrouvèrent à Bruxelles au cours de l’été 1872, Vermersch et Andrieu. En font également partie, de manière quelque peu plus périphérique, le caricaturiste et ami de Verlaine, Félix Régamey (que Verlaine et Rimbaud rencontrèrent également à Londres), et les journalistes révolutionnaires Jules Vallès[14] et Lissagaray (chez qui Andrieu trouva refuge quand il débarqua à Londres, et pour qui, en 1872, Verlaine joua le rôle de facteur). C’est d’ailleurs grâce à la recommandation d’Andrieu, que Verlaine put s’inscrire et Rimbaud ? au Cercle d’études sociales à Londres, un « club de réfugiés » dont sont également membres Lissagaray, Vallès, Marx…

Cette confluence constitue comme le milieu naturel des pérégrinations de Verlaine et de Rimbaud à Bruxelles et à Londres. Elle se situe à la conjonction d’une fraction sociale (la petite-bourgeoisie intellectuelle), d’un positionnement politique radicalisé (ils sont partisans de la « Sociale ») et d’une activité culturelle hybride et (jugée) mineure (la « petite presse », les caricatures, la fantaisie) qu’ils gauchissent et subvertissent. D’où la haine de la grande majorité des intellectuels envers ces « déclassés », en raison non seulement de leur participation à la Commune bien sûr, mais aussi au regard de leurs écrits et de la transgression qu’ils entretiennent entre haute et basse cultures, et entre art et politique[15].

 

UN « FRÈRE D’ESPRIT »

Non seulement Rimbaud connaissait Jules Andrieu, mais, selon Ernest Delahaye, l’ami commun de Verlaine et de Rimbaud, ce dernier le considérait comme un « frère d’esprit »[16]. Au-delà du micro-réseau que j’ai évoqué, cette fraternité spirituelle participe des affinités entre les deux hommes. De manière générale, tous les deux ont en commun une même boulimie de savoirs et le goût des langues étrangères. À cela vient s’ajouter une certaine parenté dans l’intérêt pour la poésie populaire, l’éducation et la morale.

De manière plus organique, l’inspiration fouriériste[17], les thèmes de l’unité et de l’harmonie, la critique du mythe du progrès[18], la dialectique de la force et du droit[19], et la volonté de construire une « science de l’homme », une « science pratique de la vie »[20], où se fondraient philosophie et histoire, science et art, et qui serait basée sur la morale ont des correspondances dans les poèmes de Rimbaud. Surtout, sous les dehors « bonhomme » d’Andrieu et l’insolence maladroite de Rimbaud, les deux hommes partagent la volonté d’une régénération globale, l’exigence, tirée d’une réinterprétation de l’art grec, de renouer les paroles avec la morale, la poésie avec l’action publique.

Pour revenir à la question initiale, à savoir qui est le destinataire de cette lettre, nous pensons qu’il s’agit bien de Jules Andrieu. Son auteur demande, en effet, des renseignements sur le monde éditorial et celui de la bibliographie, des références historiques et de livres, des conseils, enfin, pour établir un plan. Et tout cela en vue de l’écriture d’un ouvrage au titre – « L’Histoire splendide » –, ainsi qu’à l’esprit, étonnants. Or, qui d’autre que Jules Andrieu était le mieux placé pour répondre à des questions aussi éclatées et démesurées ?

Auteur de nombreux articles et ouvrages, embrassant des champs très divers, versés dans les sciences et l’histoire, la pédagogie et les savoirs populaires, Andrieu avait en effet une longue expérience éditoriale derrière lui. N’était-il pas, lui aussi, tout autant sinon que Rimbaud, épris de « philomathie », comme Verlaine le signalait à moitié pour rire, à son compagnon ? De plus, des rares Français que l’auteur des Illuminations connaissait à Londres, il était celui qui était le mieux introduit dans le milieu éditorial local.

Enfin, l’auteur de la lettre fait référence au savoir d’Andrieu – à sa qualité comme à sa méthode ? –, ce qui suppose tout à la fois une familiarité avec les travaux du destinataire, et qu’il valorise autant la somme de ses connaissances que la forme particulière de ce savoir – la manière dont il a été acquis et dont il est transmis, les liens qui sont établis entre les diverses disciplines, etc. Or, cela correspond à la position occupée par Andrieu, et à ce que l’on sait de l’intérêt que pouvait lui porter Rimbaud. Par ailleurs, les contours même de l’histoire qu’entend écrire Rimbaud, et en vue de laquelle il demande des renseignements, ne sont pas sans lien avec la démarche d’Andrieu. Et ce même si, j’y reviendrai, il y a une part de provocation (involontaire ?) dans la démarche de Rimbaud et qu’on ne peut que s’interroger sur l’accueil que lui a réservé Andrieu.

 

LA LETTRE

Le livre du descendant de Jules Andrieu offre, pages 208-209, une retranscription de la lettre, qu’il avait lui-même réalisé, aidé d’une connaissance[21]. Nous reproduisons ci-dessous notre propre retranscription, en signalant, à chaque fois, en les soulignant en rouge, les modifications, et en renvoyant à des notes de bas de page pour justifier les quelques corrections majeures que nous avons opérées par rapport à la retranscription dans C’était Jules.

 

***

 

London, 16 April 74

 

Monsieur[22],

         – Avec toutes excuses[23] sur la forme de ce qui suit,

Je voudrais entreprendre un ouvrage en livraisons, avec titre : L’Histoire splendide[24]. Je réserve : le format ; la traduction, (anglaise d’abord) le style devant être négatif et l’étrangeté des détails et la (magnifique) perversion de l’ensemble ne devant affecter d’autre phraséologie[25] que celle possible pour la traduction immédiate : – Comme suite de ce boniment sommaire : Je prise[26] que l’éditeur ne peut se trouver que sur la présentation de deux ou trois morceaux hautement choisis. Faut-il des préparations dans le monde bibliographique, ou[27] dans le monde, pour cette entreprise, je ne sais pas ? – Enfin c’est peut-être une spéculation sur l’ignorance où l’on est maintenant de l’histoire, (le seul bazar moral qu’on n’exploite pas maintenant) – et ici principalement (m’a-t-on dit (?)) ils ne savent rien en histoire – et cette forme à[28] cette spéculation me semble assez dans leurs goûts littéraires – Pour terminer : je sais comment on se pose en double-voyant[29] pour la foule, qui ne s’occupa jamais à voir, qui n’a peut-être pas besoin de voir.

En peu de mots (!) une série indéfinie de morceaux de bravoure historique, commençant à n’importe quels annales ou fables ou souvenirs très anciens. Le vrai principe de ce noble travail est une réclame frappante ; la suite pédagogique de ces morceaux peut être aussi créée par des réclames en tête de la livraison, ou détachées. – Comme description, rappelez-vous les procédés de Salammbô : comme liaisons et explanations[30] mystiques, Quinet et Michelet: mieux[31]. Puis une archéologie ultrà-romanesque[32] suivant le drame de l’histoire ; du mysticisme de chic, roulant toutes controverses ; du poème en prose à la mode d’ici ; des habiletés de nouvelliste aux points obscurs. – Soyez prévenu que je n’ai en tête pas plus de panoramas, ni plus de curiosités historiques qu’à[33] un bachelier de quelques années – Je veux faire une affaire ici.

Monsieur, je sais ce que vous savez et comment vous savez : or je vous ouvre un[34] questionnaire, (ceci ressemble à une équation impossible), quel travail, de qui, peut être pris comme le plus ancien (latest[35]) des commencements ? à une certaine date (ce doit être dans la suite) quelle chronologie universelle ?Je crois que je ne dois bien prévoir que la partie ancienne ; le Moyen-âge et les temps modernes réservés ; hors cela que je n’ose prévoir – Voyez-vous quelles plus anciennes annales scientifiques ou fabuleuses je puis compulser ? Ensuite, quels travaux généraux ou partiels d’archéologie ou de chroniques ? Je finis en demandant quelle date de paix vous me donnez sur l’ensemble Grec Romain Africain. Voyons : il y aura illustrés en prose à la Doré, le décor des religions, les traits du droit, l’enharmonie[36] des fatalités populaires exhibées[37] avec les costumes et les paysages, – le tout pris et dévidé à des dates plus ou moins atroces : batailles, migrations, scènes révolutionnaires : souvent un peu exotiques, sans forme jusqu’ici dans les cours ou chez les fantaisistes. D’ailleurs, l’affaire posée, je serai libre d’aller mystiquement, ou vulgairement, ou savamment. Mais un plan est indispensable.

Quoique ce soit tout à fait industriel et que les heures destinées à la confection de cet ouvrage m’apparaissent méprisables, la composition ne laisse pas que de me sembler fort ardue. Ainsi je n’écris pas mes demandes de renseignements, une réponse vous gênerait plus ; je sollicite de vous une demi-heure de conversation, l’heure et le lieu s’il vous plait, sûr que vous avez saisi le plan et que nous l’expliquerons promptement – pour une forme inouïe et anglaise

Réponse s’il vous plait.[38]

Mes salutations respectueuses

Rimbaud

30 Argyle square, Euston Rd. W.C.

 

***

Ce qui emporte la conviction que Rimbaud est bien l’auteur de cette lettre tient dans son contenu et son style. Cette sommation empressée de renseignements et de livres, cette impatience de faire le tour et le détour de la question – tout en ne réclamant, pour seule réponse, « qu’une demi-heure de conversation » ! –, ces lignes précipitées, commençant par s’excuser par (et pour ?) la forme et se concluant par un « Réponse s’il vous plait »[39], ces mots soulignés sont bien dans l’esprit et le style de Rimbaud. Et ne sont pas sans rappeler, des années plus tard, les lettres d’Aden, à sa famille ou à Delahaye, où il exigeait de lui trouver et de lui envoyer, au plus vite bien sûr, moult traités, dictionnaires et manuels…

Par ailleurs, la référence à Flaubert, à Quinet et, « mieux », à Michelet semble confirmer tout un pan des études rimbaldiennes, qui ont mis en évidence ces intertextes dans la poésie de Rimbaud[40]. Difficile aussi, de ne pas faire, ici ou là, le lien avec tel ou tel poème. Ainsi, du « je réserve : le format ; la traduction… », au début de la lettre, qui rappelle le : « Je réservais la traduction » de « Délires II. Alchimie du verbe » dans Une saison en enfer. Surtout évidemment par cette référence au voyant. Ainsi, est affirmé à la fin du premier paragraphe : « je sais comment on se pose en double-voyant pour la foule, qui ne s’occupa jamais à voir, qui n’a peut-être pas besoin de voir ». À l’opposé du poète qui, selon les lettres dites du Voyant de 1871, doit travailler à se faire voyant « par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens », et de la foule « qui n’a peut-être pas besoin de voir », non pas parce qu’elle ne s’intéresse pas au travail poétique, mais parce que par son positionnement même, sa vue est moins aliénée, plus proche déjà du regard poétique nouveau[41], apparaît la figure du « double-voyant ».

La manière dont est annoncé ce « double-voyant », sa posture, voire sa pose – « on se pose… » – et le destinataire – « la foule » –, peut-être étranger à ce besoin, en fait une figure dépréciative. Il s’agirait d’un artifice, d’une tromperie (« double » dans le sens de berner, d’agent double), d’une manipulation des visions et de la foule (de la foule par les visions) par ceux-là mêmes qui se prétendent voyants : hommes politiques, scientifiques ou poètes qui se disent prophètes. On peut faire le rapprochement avec la conception théologique de la « Vision béatifique ou intuitive ».

Voici ce qu’écrit Henri-Dominique Lacordaire, l’une des grandes figures de la pensée catholique du XIXe : « Dieu avait dans sa propre nature l’exemplaire d’une double vision, la vision intuitive et la vision idéale. Présent à lui-même par la vision intuitive, il découvrait par la vision idéale les choses qu’il devait un jour créer »[42]. Cette vision immédiate, réservée aux Saints et aux bienheureux, comme une récompense, apparaît « comme un avant-goût de la possession dans l’espérance », dont Saint-Paul a donné l’idée : « Nous voyons à présent comme dans un miroir et d’une manière obscure ; mais alors, après cette vie, nous verrons face à face »[43]. Si Rimbaud adopte cette quête d’une vision face à face, c’est bien à partir de et dans cette vie-ci, et non après ; un après qui, par la passivité et la soumission qu’il induit – la foule déléguant son pouvoir de voir – fausse tout.

Mais, de manière plus décisive encore, cette « Histoire splendide » situe à la fois l’auteur et le destinataire. C’est que ce projet de Rimbaud semble confirmer les souvenirs de Delahaye. Celui-ci avait en, effet, affirmé :

« C’est vers la fin de l’hiver de 71-72. Il me parle d’un projet nouveau – qui le ramène aux poèmes en prose essayée l’année précédente, veut faire plus grand, plus vivant, plus pictural que Michelet, ce grand peintre de foules et d’actions collectives, a trouvé un titre : L’histoire magnifique, débute par une série qu’il appelle Photographie du temps passé. Il me lit plusieurs de ces poèmes (qui n’ont pas reparu jusqu’à présent : peut-être en les cartons de collectionneurs jaloux). Je me rappelle vaguement une sorte de Moyen âge, mêlée rutilante à la fois et sombre, où se trouvaient les « étoiles de sang » et les « cuirasses d’or » dont Verlaine s’est souvenu pour un vers de Sagesse ; avec plus de netteté je revois une image du XVIIe siècle »[44].

« L’Histoire splendide » de la lettre de 1874 semble bien reprendre le projet que Delahaye date de 1872[45] ; celui de fixer des « visions d’histoire », des synthèses photographiques, « le portrait physique et moral » d’une époque et d’un monde à travers la succession de générations, une sorte de Genèse universelle.

Dans la lettre, il est question d’« un ouvrage en livraisons » (comprendre : en feuilletons), de quelque chose « de tout à fait industriel ». Et l’auteur d’insister : « je veux faire une affaire ici ». Soit le paradigme de la « littérature industrielle » – celle de « l’invasion de la démocratie littéraire », du « bas fond [qui] remonte sans cesse, et devient vite le niveau commun, le reste s’écroulant ou s’abaissant », portant le « drapeau Vivre en écrivant » – stigmatisée en son temps (1839) par un article célèbre de Sainte-Beuve dans la Revue des Deux Mondes[46]. Bref, la littérature pour le marché. Et, derrière celui-ci, qui n’est, en réalité, aux yeux de Sainte-Beuve, qu’un masque, la littérature pour le public « démocratique » : le peuple[47]. Et cette stigmatisation de se changer en haine, suite à la Commune de Paris, envers cette « barbarie lettrée ».

Rimbaud vise le journalisme et veut faire de l’argent. Certes. Mais, les contours et conditions de ce projet ne laissent pas de surprendre. La diversité des références (Flaubert avec Salammbô, Quinet, Michelet et Doré) et la disparité des formes envisagées (« poème en prose à la mode d’ici », « nouvell[ist]e ») ou écartées (« les cours ou [chez] les fantaisistes »), visant « un bachelier de quelques années » comme public cible, témoignent d’une volonté de bousculer les frontières de la littérature, de mélanger (et de dépasser ?) les genres, en nouant réclame « frappante » ou « détachée[s] »[48], mysticisme et pédagogie, dans une forme nouvelle[49] ; nouvelle et libre d’emprunter la voie mystique, vulgaire ou savante.

Cette lettre est également importante car y apparaît la seule occurrence du « poème en prose » dans les écrits de Rimbaud. L’expression couvrait alors un assez large éventail. Mais au vu des informations contenues dans la lettre, on peut tenter quelques hypothèses et rapprochements. L’auteur se réfère un type de textes en Angleterre. Peut-être pense-t-il à Walter Scott ou à Edgar Allan Poe ? Toujours est-il que des livres comme La mer (1861), La montagne (1868) de Michelet ou La Création (1870)[50] de Quinet, deux auteurs cités dans la lettre, et le premier doublement souligné, sont appréhendés par la critique comme autant de poèmes en prose. Néanmoins, il est d’autant plus difficile de ne pas penser à Louis Bertrand (plus connu sous le nom d’Aloysius Bertrand) que son Gaspard de la nuit, sous-titré « Fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot » sont à la fois une méditation sur des périodes anciennes et l’acte de naissance du poème en prose (accordé rétrospectivement).

Une autre piste, complémentaire, s’ouvre à la réflexion. Parmi les références, se trouve, soulignée elle aussi, Gustave Doré. Dans sa lettre à Georges Izambard du 25 août 1870, Rimbaud, évoquant le « pillage » de la bibliothèque de son ancien professeur, écrit : « Plus rien ; votre bibliothèque, ma dernière planche de salut, était épuisée !… Le Don Quichotte m’apparut ; hier, j’ai passé, deux heures durant, la revue des bois de Doré : maintenant, je n’ai plus rien ! ». L’effet dramatique met en évidence la découverte des illustrations de Doré[51], son importance ; ce qui l’a « sauvé » de l’idiotie et de la nullité qui le guettent en cet été à Charleville, « exilé dans sa patrie »[52]. Or, Doré avait réalisé, deux ans plus tôt, les illustrations de London : a Pilgrimage (1872) d’un livre écrit par le journaliste et auteur britannique, William Blanchard Jerrold (1826–1884), et qui, en 1873 avait publié The Christian Vagabond. Autre référence possible de ce « poème en prose à la mode d’ici » ? Quoi qu’il en soit, ces divers auteurs paraissent partager un certain lyrisme, le romantisme et, au croisement des deux, un usage de la fantaisie. Peut-être est-ce là, pour Rimbaud, l’un des enjeux principaux de son écriture : réorienter la fantaisie, la politiser – en 1871, il qualifiait d’« admirables » les fantaisies de Vallès et Vermersch –, la réinvestir d’une charge neuve[53].

Cet enjeu, la forme qu’il convient de donner à ces textes et que ni les cours ni les fantaisistes n’ont réussi à lui donner, croise le déplacement des frontières entre histoire et fable, la lettre maintenant une ambivalence entre annale (scientifique), fable ou souvenirs. Et ce même si, les « anciennes annales […] fabuleuses » ne renvoient pas nécessairement à un récit imaginaire ou mythique, mais bien à l’époque des « temps obscurs », avant que l’homme ne soit rentré dans l’histoire[54]. Quoiqu’il en soit, ce livre projeté, peut-être déjà commencé, livre non pas d’histoire, mais plutôt sur l’histoire – une histoire éclatée en « morceaux » – n’est pas sans affinité avec les essais d’Andrieu – surtout Histoire du Moyen-Âge et Philosophie et morale – dont il a pu parler avec Rimbaud.

 

UNE CONTRE-HISTOIRE

En ce 19e siècle, où « les esprits sont envahis par l’Histoire »[55], se multiplient les traités et tableaux d’histoires universels, les romans d’histoire. Et Pierre Laforgue de donner comme exemple de cette invasion, le Salammbô (1862) de Flaubert[56]. En ce sens, c’est moins l’histoire proprement dite, que le sens et, plus encore, la morale de l’histoire, qui occupe les esprits. Les livres d’Andrieu sont caractéristiques de cette interrogation. Il entend découvrir la « loi de la marche de l’humanité », en suivant la série de révolutions qui mène de l’homme primitif à l’homme moderne.

Livres ardus, parfois confus, mettant en scène, de la Chine à nos jours, en passant par la kabbale (qu’Andrieu étudiait de manière approfondie), la Perse, l’Égypte, l’Inde et la Grèce, la clé de « tous les systèmes » philosophiques, le clivage entre Orient et Occident, les divers âges de la civilisation, les guerres des « races » et des peuples, la détermination du climat et du paysage sur la philosophie et l’histoire emmêlées. Ils s’inscrivent dans l’esprit de système, qui fleurit alors et s’appuie sur la (re)découverte de Vico, et de son dessein de dessiner « l’histoire du genre humain ».

L’œuvre de Vico, à laquelle Andrieu fait référence est mise en avant par Michelet dans sa préface à Principes de la philosophie de l’histoire (1829). Il y présente la « Science nouvelle », à même de « tracer l’histoire universelle, éternelle, qui se produit dans le temps sous la forme des histoires particulières, [de] décrire le cercle idéal dans lequel tourne le monde réel »[57]. Si la méthode historique d’Andrieu participe partiellement de cette conception déterministe de l’histoire, elle présente aussi des aspects plus fouillés et originaux. Tout particulièrement, Histoire du Moyen Âge.

Ce livre entend mettre en œuvre la dialectique – celle de Proudhon, plutôt que de Hegel, qu’Andrieu cite – et se dégage d’une « racialisation » de l’histoire. Andrieu affirme, en effet que « les questions de politique sont toujours doublées de questions d’économie sociale : c’est là qu’il faut aller chercher l’explication des faits inexplicables »[58]. De plus, l’auteur adopte une analyse de la société proche de celle de Marx. Il écrit ainsi qu’à la fin du Moyen Âge, la société est composée des prolétaires des champs, et ceux des villes, de la petite bourgeoisie, de la bourgeoisie privilégiée, de la petite noblesse et, enfin, de la noblesse. Et de conclure : « L’histoire moderne n’est autre que les luttes et les modifications de toutes ces classes ».

Mais c’est moins au projet rimbaldien d’un essai historique, de littérature industrielle, qu’il faut s’arrêter, qu’à sa perversion. Perversion de l’ensemble liée dialectiquement au « style […] négatif », à l’étrangeté des détails, le tout « dévidé à des dates plus ou moins atroces ». Est-ce là, la manière la plus immédiate de s’assurer le succès ? À moins qu’il ne faille y voir une lecture cynique ? Par nécessité (économique), Rimbaud adopterait le procédé de la « littérature industrielle », la technique de la « réclame frappante »[59] sans y adhérer et en en démontant lucidement les mécanismes.

En tous les cas, à suivre les indications de la lettre, force est de constater que c’est une certaine histoire et sous un angle spécifique – celui de la violence – que veut écrire Rimbaud. Et cela en fonction d’une hybridation de l’écriture où se nouent fable et âpreté, réalisme documentaire et fantaisie, « littérature industrielle » et poésie[60]. Soit une contre-Légende des siècles. Le rapport conflictuel de Rimbaud à l’histoire a fait l’objet d’analyses variées et fouillées[61], mais je voudrais y revenir à partir de cette lettre et du contexte des années 1871-1874.

La « splendeur » de l’histoire que projette d’écrire Rimbaud n’est-elle pas trop brillante pour être honnête ? Splendide serait la marche de l’humanité, de la barbarie à la civilisation, portée par le Progrès. Ne faut-il pas entendre ce « splendide » sinon par dérision, au moins de manière ambivalente ou contradictoire[62] ? Comme l’indice d’un travail de subversion ; la splendeur des villes embrasées par la révolution ? En tous les cas, la « perversion de l’ensemble » dont l’auteur précise, entre parenthèse, qu’elle est « magnifique », doit nous servir d’avertissement et d’orientation. Le « magnifique » n’est-il pas là pour mieux souligner le paradoxe (apparent), comme dans, Mauvais sang, le « magnifique, la luxure »[63] ? De même, quelle est la part d’ironie – entre mise à distance et négation – qui entre dans la présentation de la « réclame frappante » comme « vrai principe de ce noble travail » ? On peut d’ailleurs s’interroger sur la « stratégie » de Rimbaud pour présenter son projet à Andrieu – qui, même d’esprit ouvert, devait trouver cela pour le moins étrange – et le convaincre de lui apporter son aide…

C’est justement cette vision historique qui semble ici voler en éclats, et dans la forme – pas d’épopée, de ligne montante, mais des « morceaux de bravoure historique »[64] – et dans ses ressorts mêmes. Non pas le progrès, la paix, et le commerce, mais la guerre et les révolutions : « batailles, migrations, scènes révolutionnaires ». Il s’agit moins de trois événements séparés ou successifs, que d’une séquence historique, la loi d’une série, voire « la suite pédagogique » : des guerres, des déplacements de population, la colonisation et les migrations, des explosions révolutionnaires. S’agit-il, dans l’esprit de la « littérature industrielle », de donner à la foule ce qu’elle attend (c’est-à-dire ce qu’on suppose qu’elle attend) : des images spectaculaires de sang et de guerre[65] ? Nous ne le pensons pas, du moins sous une forme aussi brute et unilatérale. Il s’agit plutôt de tourner le projecteur sur ces points aveugles et de donner à voir leur mécanique.

Le triptyque guerres – migrations – révolutions, marqué de bout en bout par la violence, structure d’ailleurs, sinon l’esprit de la poésie de Rimbaud, nombre de ses poèmes : « Qu’est-ce que pour nous mon cœur », « Mauvais sang », « Soir historique », « Mouvement », ou encore « Délires II. Alchimie du verbe », évoquant : « guerres de religion étouffées, révolutions de mœurs, déplacements de races et de continents ». Il renvoie la vision d’une évolution historique, d’une élévation et d’un sens de l’histoire, à cette violence, à ces « dates plus ou moins atroces », comme autant de détails étranges, qui fixent la perversion de l’ensemble.

Le mythe du progrès est ainsi démonté et dénoncé dans sa dynamique historique : la marche des vainqueurs entraînant non pas la civilisation, mais la « barbarie moderne » (« Villes »). Mais cette évolution dans le temps se double d’un mouvement dans l’espace. Et cette mécanique de se cristalliser dans le colonialisme, comme expansion historique et spatiale, idéologique et matérielle.  Si, dans « Mauvais sang », selon Alain Bardel, le narrateur « retourne contre lui-même le discours réactionnaire de son temps »[66], axé sur les catégories « racialistes de l’historiographie libérale » – les Gaulois contre les Francs –, ici, il s’agirait de retourner contre lui-même le discours du progrès, de la civilisation et du colonialisme.

Plutôt donc que la splendeur de cette histoire progressive, il s’agit de montrer ses ratés et ses leurres. Sa dynamique régressive. Pas les religions, juste leur « décor » ; pas le droit, « mais les traits du droit » ; pas l’harmonie enfin, mais « l’enharmonie des fatalités populaires ». Soit les masques et les scènes. Mais aussi tout le poids des déterminations sociales et idéologiques, qui pèsent comme une fatalité sur le peuple et sa liberté. Et le tout, « dévidé » de ses prétentions progressistes[67], « pris » et fixés « à des dates plus ou moins atroces », qui donnent à voir le noyau de cette dynamique historique, le spectacle de cette (fausse) splendeur. Avec, en creux, sous « l’histoire triomphale des conquérants une contre-histoire des misérables, des vaincus », une « poétique de la contre-mémoire »[68] ; avec tour-à-tour la fascination et le dégoût, la morsure toujours, pour une représentation régressive de l’histoire[69]. À cette histoire-spectacle, Rimbaud oppose un « long, immense et raisonné dérèglement », opérant par montage et démontage, afin de faire voler en éclats ce palais de cristal avec laquelle elle se confond.

Si le projet de « L’Histoire splendide » s’inscrit dans le rapport de Rimbaud à l’histoire, il convient de le situer également dans le temps si particulier de ces années 1872-1874. La Semaine sanglante, l’écrasement de la Commune de Paris, et, avec elle, des espoirs d’émancipation, le règne de l’Ordre, qui semble devoir durer longtemps, parallèlement à une prolifération historiographique des vainqueurs, catalyse une crise et une mise en abîme du mythe du progrès, alors si prégnant, y compris au sein des courants socialistes (que l’on pense seulement à Hugo), et, au-delà, de l’histoire elle-même. Le problème n’est pas tant l’impasse ou le fiasco de l’histoire, que la course folle du progrès. Ce qui progresse, c’est la science des massacres[70]. Et, avec elle, les « batailles, migrations, scènes révolutionnaires ».

La lettre évoque, dans une parenthèse, l’histoire comme le « seul bazar moral qu’on n’exploite pas maintenant ». Cela laisse à supposer que l’auteur, dans la perspective de cette « littérature industrielle » et de son « messianisme vénal », y a vu une niche, qu’il entend bien exploiter, lui. Action complémentaire aux « À vendre » de « Solde », double versant de la « poésie commerciale »[71] , qui participe de la liquidation de toute morale. Le « bazar moral » dit la triple réduction de l’histoire à un bric-à-brac, au bordel et à un marché (où tout se vend, y compris la morale). Cependant, de même que dans « Solde », l’élan est ambivalent, le mouvement vient buter sur une limite : dans « Solde », « Les vendeurs ne sont pas à bout de solde » ; ici, le filon n’est pas exploité. Mais si cette marchandise n’est actuellement pas exploitée, ce n’est certainement pas par retenue éthique, mais peut-être parce qu’elle n’est plus disponible ou qu’elle est épuisée. Et qu’elle a déjà, de toute façon, rempli sa fonction. Au point que l’histoire se confonde avec le rythme de la nature, les cycles des saisons, la fatalité aveugle de la disharmonie, de la discordance, comme à une loi naturelle[72].

Il faut dès lors entendre « l’enharmonie des fatalités populaires » un peu à la manière des « exterminations conséquentes » de « Soir historique » et des « révoltes logiques » de « Démocratie »[73]. Les « batailles, migrations, scènes révolutionnaires », loin d’être de simples accidents de parcours constituent, au contraire, la colonne vertébrale de l’histoire. Leur fatalité découle de la conséquence logique de la voie empruntée. Sauf qu’elle n’annonce plus, dans une perspective messianique révolutionnaire, l’inéluctabilité du Grand Soir, mais celle des soulèvements et insurrections, condamnés à se répéter. Et, peut-être, à être écrasés dans le sang. Éternel retour du même, où se donnent à voir le grincement des gonds, la violence et les divisions. L’envers et le coût de cette splendeur.

Or, en ces années, ce retour sur l’histoire – ou le détournement de celle-ci – prend, au sein du micro-réseau dont j’ai parlé, une acuité toute particulière. Les proscrits ne sont pas seulement exilés d’un espace – la France –, mais aussi, plus sûrement et radicalement, de l’histoire. D’où les appels à la vengeance, le recours aux spectres, une violence généralisée de l’écriture, qui double la violence de l’histoire, cherche à la désocculter en faisant voler en éclat son homogénéité et essaye d’y revenir par la bande ou par effraction[74]. D’où aussi l’exacerbation des discussions et polémiques ; alimentée encore par le travail des mouchards et des provocateurs[75]. D’où enfin la mission du Cercle d’études sociales de Londres, au sein de laquelle Vallès et Lissagaray se distingueront, de mener une contre-enquête populaire sur la Commune, pour la dégager des mensonges et des falsifications, et réinscrire l’événement dans une trame historique, où elle aurait un sens[76]. Et un avenir, fût-il précaire et lointain.

Ainsi, d’une certaine manière, au même titre que les Notes d’Andrieu, L’histoire de la Commune de Lissagaray, le roman L’Insurgé de Vallès ou Les Incendiaires de Vermersch, le recueil Les Vaincus (originellement dédicacé à Rimbaud) auquel travaillait alors Verlaine, et nombre de textes de Rimbaud – dont cette lettre ? –doivent aussi s’entendre comme un fragment de cette contre-histoire des vaincus, interrogeant le sens et l’avenir de cette défaite. Peut-être est-ce aussi en ce sens dès lors qu’il faut comprendre cette « archéologie ultrà-romanesque suivant le drame de l’histoire » qu’évoque la lettre ? Revenir en amont, remonter le cours du drame jusqu’aux fondations, pour en faire émerger d’autres passages, de manière peut-être aussi ambivalente que l’appel aux « Romanesques amis » de « Qu’est-ce pour nous Mon Cœur ? »

 

DE « L’HISTOIRE SPLENDIDE » AUX ILLUMINATIONS

Lorsque Delahaye a évoqué le projet d’« Une histoire magnifique », il l’a rattaché aux Illuminations. Et, de fait, ces quelques pages ne donnent-elles pas le décor, sinon l’esprit de l’écriture poétique de Rimbaud, et des Illuminations, en particulier ? Un « style [devant être] négatif et l’étrangeté des détails et la (magnifique) perversion de l’ensemble » ; « illustrés en prose à la Doré, le décor des religions, les traits du droit, l’enharmonie des fatalités populaires exhibées avec les costumes et les paysages, – le tout pris et dévidé à des dates plus ou moins atroces : batailles, migrations, scènes révolutionnaires » ? Et l’ensemble tourné, fixé sur un plan particulier, visant « [pour] une forme inouïe et anglaise ». Autant de « morceaux », d’éclats, de scènes, de tableaux qui se retrouvent dans les Illuminations. Mais sous une forme qui n’a rien à voir avec la « littérature industrielle ».

Le titre lui-même semble correspondre avec les suggestions de titres attribués aux Illuminations, « painted plates » (Verlaine), « gravures coloriées » (La Vogue), mais en mettant l’accent sur les lumières. « Splendide », étymologiquement, renvoie à ce qui dégage un « grand éclat de lumière » selon le Littré. Cette histoire constitue-t-elle dès lors la genèse héroïque qui mène aux « splendides villes » d’« Adieu » dans Une saison en enfer ou, plus modestement, au « Splendide Hôtel » d’« Après le Déluge » ? À condition toutefois d’entendre cette surcharge de lumière, attachée à la modernité clinquante des villes, du tourisme et du commerce, de manière contradictoire. Voire piégée. « L’ardente patience » dont on s’arme pour arriver aux « splendides villes » n’est pas sans rappeler la Jérusalem céleste[77], la religion « rattrapant » de la sorte le piéton, en épousant la modernité, marquant l’alliance de l’église et du bourgeois : « M. Prudhomme est né avec le Christ » (« L’Impossible »).

La splendeur serait-elle alors un indice du renversement ? La prétendue victoire acquise et l’accès annoncé aux « splendides villes » risque de n’être qu’un leurre. N’est-ce pas d’ailleurs plutôt son retournement qui se lit dans le miroir d’« Après le Déluge » ? En effet, c’est la célébration de la messe et des premières communions dans l’espace couvert « aux cent mille autels de la cathédrale », qui annonce le départ des caravanes et la construction du « Splendide Hôtel » au bout du monde – « dans le chaos de glaces et de nuit du pôle » ; le commerce et la religion, la religion du commerce ont tout recouvert. « La même magie bourgeoise à tous les points où la malle nous déposera ! » (« Soir historique »).

Cette splendeur des hôtels et des villes qui brille et qui éblouit, n’est-ce pas d’abord et avant tout « la grande maison de vitres encore ruisselante », les « boulevards de cristal » (« Métropolitain ») ? Soit, au premier chef, les vitrines des grands magasins où scintillent les marchandises ? Et celles-ci ne fonctionnent-elles pas comme les vitraux modernes, redonnant aux images la richesse et le pouvoir des livres sacrés (« Les Premières communions ») ; reconfiguration marchande du fétichisme religieux[78] ? Or, cette reconfiguration passe par une vision de l’histoire que Walter Benjamin a voulu saisir dans Le Livre des passages.

L’objet de ce livre est une « illusion » : la conception de l’histoire que se faisait le 19ème siècle, à savoir la conception de « L’Histoire de la Civilisation »[79]. Cette « représentation chosiste de la civilisation », fait du cours du monde « une série illimitée de faits figés sous forme de choses », collectionnées et apparaissant « comme identifiées pour toujours ». Mais, c’est oublier que la transmission des événements, des créations du passé suppose un travail, un processus particulier : « un effort constant de la société, un effort par où ces richesses se trouvent par surcroît étrangement altérées ». Elles entrent, dès lors, « dans l’univers d’une fantasmagorie. Ces créations subissent cette ‘illumination’ non pas seulement de manière théorique, par une transposition idéologique, mais bien dans l’immédiateté de la présence sensible. Elles se manifestent en tant que fantasmagories ».

L’auteur évoque « la fantasmagorie de la civilisation elle-même » dont il fait de Haussmann son champion, « et son expression manifeste dans ses transformations de Paris ». Et Benjamin de noter l’« éclat », « cette splendeur dont s’entoure ainsi la société productrice de marchandises », en les reliant au « sentiment illusoire de sa sécurité ». Ainsi, la splendeur de cette vision historique, cette fantasmagorie attachée aux faits du passé, au cours du monde ont une fonction : écarter ou occulter la menace, nous plonger dans une rêverie agréable et nous protéger, en nous donnant le sentiment de sécurité, fût-elle illusoire. En nous figeant dans une posture de contemplation – celle du « touriste naïf, retiré de nos horreurs économiques » –, bercé par « les chromatismes légendaires, sur le couchant » (« Soir historique »)[80].

« L’Histoire splendide » dessinerait cet espace d’images – « les merveilleuses images » (« Après le Déluge »), prises dans les fantasmagories de l’histoire, de la religion et des marchandises – tout en en disputant leur fabrication comme leur enchantement. Et de le faire au plus près de la source, en empruntant la voie de la « réclame frappante », de la fable et de la science, des « liaisons et explorations mystiques ». En se mettant en marche, dans la foulée de « l’humanité fraternelle et discrète par l’univers sans images » (« Jeunesse, II »). Du moins sans ces images-là, ressorts de la fantasmagorie – la « chère image » d’« Ouvriers »[81] –, en opérant un montage d’autres images, et en les chargeant d’une autre histoire et d’un autre éclat – une lumière non plus aveuglante –, qui libérerait l’image de sa fixité et redonnerait à la poésie sa puissance d’action.

 

CONCLURE

Si l’auteur de cette lettre est bien Rimbaud, et son destinataire, Jules Andrieu, comme tout le laisse à penser, on ne sait si ce dernier y a répondu ni si les deux hommes se sont vus. Cela demeure improbable toutefois, au regard de la situation matérielle et affective difficile d’Andrieu en ces années, de la mauvaise réputation de Rimbaud (en particulier sa relation homosexuelle avec Verlaine, alors en prison)… et de l’effort que cela aurait demandé de répondre aux desiderata d’une telle lettre.

En fin de compte, même si, pour les raisons évoquées, nous croyons à l’authenticité de cette lettre, une part d’incertitude demeure et ne pourra être levée définitivement qu’en ayant accès à l’original et/ou après une expertise approfondie. Nous n’avons réalisé ici qu’un premier travail d’approche. Mais s’il s’avère que Rimbaud en est bien l’auteur, il s’agit là d’une découverte majeure, qui permet de relancer les recherches, d’abord et plus spécifiquement peut-être sur les Illuminations, sur le milieu politico-culturel dans lequel se mouvaient Rimbaud et Verlaine après l’écrasement de la Commune de Paris et, enfin, sur cette zone grise, l’un de ces « chaînons survivants »[82] entre l’écriture poétique de Rimbaud et les écrits de la période abyssine, se construisant « dans la fascination et le rejet simultanés du récit romanesque »[83].

 

Frédéric THOMAS

27/09/2018

Chercheur au Cetri (www.cetri.be), membre du comité de rédaction de Dissidences, auteur de Salut et liberté : regards croisés sur Saint-Just et Rimbaud, Bruxelles, Les Éditions Aden, 2009 et de Rimbaud révolution, Paris, L’échappée, à paraître.

 

NOTES

[1]   Mes remerciements à Steve Murphy pour sa relecture, ses remarques critiques et pistes de réflexion, ainsi qu’à Denis Saint-Amand et Robert St.Clair pour leur relecture.

[2]   Le livre est accessible sous ce lien : http://renaissance.carnot.pagesperso-orange.fr/Andrieu/index.html. Que cela soit pour moi l’occasion de remercier son auteur pour sa disponibilité et sa collaboration.

[3]   Lettre du 26 mars 1874 de Germain Nouveau à Richepin, cité dans Jean-Jacques Lefrère, Arthur Rimbaud, Paris, éditions Fayard, 2001, p. 659.

[4]   Jean-Jacques Lefrère, ibid.

[5]   Entre la lettre écrite du 7 juillet 1873 à Verlaine et celle de mars 1875 de Stuttgart (où Verlaine l’a rejoint) à Ernest Delahaye, aucune lettre de Rimbaud ne nous était connue.

[6]   Jules Andrieu, Notes pour servir à l’histoire de la Commune de Paris, Paris, Libertalia, 2016, p. 70.

[7]   Et Mérat devait lui dédier le poème « Prolétaires » de son livre Les chimères (1866).

[8]   Georges Cavalier, Les mémoires de Pipe-en-bois. Précédé de « Georges Cavalier, dit Pipe-en-bois » par Jean-Jacques Lefrère, Paris, Champ Vallon, 1992.

[9]   Publié pour la première fois en 1971 par Payot, le livre a été réédité en 2016 par Libertalia, avec une préface de Louis Janover et une postface de Maximilien Rubel.

[10] Bernard Noël, Le Dictionnaire de la Commune, Paris, Hazan, 1971, p. 45-46.

[11] « Jules Andrieu, l’érudit et le polygraphe, que la politique et l’exil devaient ravir aux Lettres pendant, après et depuis la Commune, aujourd’hui consul de France à Jersey, par moi connu et apprécié comme excellent ami parmi mes assez longs séjours à Londres », Paul Verlaine, « Charles Cros » dans Les hommes d’aujourd’hui, n°338, octobre 1888, Paris, Léon Vanier.

[12] Arthur Rimbaud, « Lettre à Paul Verlaine du 7 juillet 1873 » dans Arthur Rimbaud, Œuvres complètes, Pierre Brunel, éd., Paris, Librairie Générale Française, 1999, p. 387.

[13] Denis Saint-Amand, « Genèse du Zutisme », dans La Poésie jubilatoire : Rimbaud, Verlaine et l’Album zutique, Whidden Seth (dir.), Paris, Classiques Garnier, « Études Rimbaldiennes », 2010, p. 65-82. On lira également Luc Badesco, La Génération poétique de 1860. La Jeunesse des deux rives, Nizet, 1971.

[14] Rimbaud connaissait déjà les écrits de Vallès, de Vermersch et de Henri Rochefort : dans sa lettre du 17 avril 1871 à Paul Demeny, il évoque son récent séjour parisien en ces termes : « Les choses du jour étaient Le Mot d’ordre et les fantaisies, admirables, de Vallès et de Vermersch au Cri du Peuple ». Rimbaud, op. cit., p. 236.

[15] La remarque de Kristin Ross, à propos de Paul Lafargue, Élysée Reclus et Arthur Rimbaud – à savoir que ces « figures du déplacement » suscitaient la haine en raison de « la nature ‘bâtarde’ de leur pensée » – peut, toutes proportions gardées, s’étendre à l’ensemble des membres de ce micro-réseau. Kristin Ross, Rimbaud, la Commune de Paris et l’invention de l’histoire spatiale, Paris, Les prairies ordinaires, 2013, p. 37. Voir également Henri Lefebvre, La Proclamation de la Commune, Gallimard, 1965, Paul Lidsky. Les Écrivains contre la Commune, Paris, La Découverte, 2010, Steve Murphy, Rimbaud et la Commune. Microlectures et perspectives, Paris, Classiques Garnier, 2010, Yves Reboul, Rimbaud dans son temps, Paris, Classiques Garnier, 2009, Frédéric Thomas, « Commune de Paris », Dictionnaire Rimbaud, éd. Yann Frémy et Alain Vaillant, Paris, Classiques Garnier, à paraître, Frédéric Thomas, Rimbaud révolution, Parsi, L’échappée, à paraître.

[16] Ernest Delahaye, Rimbaud. L’artiste et l’être moral, Paris, Meissen, 1923. , p. 51. Sauf indications contraires, les citations proviennent de ce texte.

[17] « Il ne s’agit plus d’imaginer, nous ne créons rien ; il s’agit de transformer, par la science du passé ou théorie, la brute primitive en homme moderne, et par la science du présent ou pratique, de transformer l’homme moderne, ce demi-barbare, en homme véritablement harmonique. Fourier a signalé le but, sinon les moyens ». Jules Andrieu, Philosophie et morale, Paris, L’École mutuelle, 1867, p. 98-99.

[18] « Dans ces temps de faiblesse morale ou intellectuelle qui a enfanté le dogme abrutissant du progrès constant, fatal, indéfini… ». Jules Andrieu, Notes pour servir à l’histoire de la Commune de Paris, Paris, Libertalia, 2016, p. 212.

[19] Mais celle-ci était également présente dans les écrits de Vermersch et constituait l’un des principaux sujets de discussion (et de polémique) parmi les proscrits communards. Lire à ce propos Steve Murphy, Rimbaud et la Commune. Microlectures et perspectives, op. cit.

[20] Jules Andrieu, Philosophie et morale, Paris, L’École mutuelle, 1867.

[21] Courriel à l’auteur en date du 17 septembre 2018.

[22] Les deux premières lignes ne sont pas « en gras ».

[23] Et non « toutes mes excuses ».

[24] Pas d’italiques.

[25] Au singulier.

[26] « Je prise » ou « je pense » ? Priser au sens d’estimer, évaluer, mettre un prix.

[27] « où » ? Rimbaud dirait alors sa perplexité devant le choix d’endroits(s) pour faire ces « préparation » – sans doute publicitaires ?

[28] Sans accent ?

[29] Et non « double-croyant ». Qui plus est, « double-voyant » est cohérent avec le sens de la phrase.

[30] « Explanations » et non « explorations », autrement dit « explications » en anglais. L’usage de l’anglais (ou du « franglais ») est attesté dans la correspondance de Verlaine et de Rimbaud (ici-même « latest ») ; cf. la lettre de Verlaine à Rimbaud du 18 mai 1873 : « Envoie esplanade. ». Voir le texte (p. 317) et la note 8, p. 320 de Michael Pakenham s’y rapportant dans Correspondance générale de Verlaine, tome 1, Paris, Fayard, 2005.

[31] Double soulignement.

[32] Cette orthographe (« ultrà » avec accent) se rencontrait. Ainsi, par exemple, dans le Journal des débats politiques et littéraires : « le parti ultrà-démocratique » (4 juin 1849, p. 3), « ses vues ultrà-protectionnistes » (21 mars 1852, p. 2). C’est plus répandu avec l’expression latine « nec plus ultrà ». Toujours dans le Journal des débats politiques et littéraires : « passe pour être le nec plus ultrà du modérantisme » (26 janvier 1864, p. 1). Et, plus près de Rimbaud, chez Lautréamont : « Le goût est la qualité fondamentale qui résume toutes les autres qualités. C’est le nec plus ultrà de l’intelligence », Isidore Ducasse, Poésies, Paris, Librairie Gabrie, 1870, p. 7.

[33] Sans accent ?

[34] Cette retranscription est incertaine. « Je vous donne un questionnaire » ?

[35] Rimbaud se trompe s’il présente cela comme traduction du plus ancien : « latest » veut dire « le dernier », « le plus récent ».

[36] Enharmonie (s’écrit aussi « enarmonie ») ou enharmonique renvoie à la métaphore musicale et/ou chorégraphique. Procédé qui consiste, en musique moderne, à ce que deux notes désignent un même son. Cela n’est pas sans rappeler le « rendus à l’ancienne inharmonie » de « Matinée d’ivresse »

[37] Par ailleurs, le pluriel semble logique car il s’agit de l’ensemble des choses énumérées.

[38] Pas de point d’exclamation.

[39] Le « s’il vous plaît » marque un relatif assagissement ; trois ans plus tôt, à son ancien professeur, Georges Izambard, il enjoignait juste : « RÉPONDEZ-MOI » (Lettre à Georges Izambard, du 13 mai 1871).

[40] Principalement peut-être certains textes de Michelet : La Sorcière, La Mer, Bible de l’humanité...

[41] Proximité qui tient aux correspondances entre les poètes et les travailleurs, telles qu’elles apparaissent dans « Les Poètes de sept ans » et plus explicitement encore dans les lettres du 13 et du 15 mai 1871, où le « travail » du poète pour se faire voyant double le combat révolutionnaire des communards. Voire en dépend : Rimbaud écrit son refus de travailler maintenant, tandis que « tant de travailleurs meurent pourtant encore », et se déclare en grève.

[42] Henri-Dominique Lacordaire, Œuvres du R. P. Henri-Dominique Lacordaire, T. III, Conférences de Notre-Dame de Paris, Paris, Poussielgue frères, 1872, p. 288.

[43] Pierre Larousse, « Vision » dans Grand dictionnaire universel du XIXe siècle : français, historique, géographique, mythologique, bibliographique…. T. 15 TESTAM-Z, Paris, Administration du grand Dictionnaire universel, 1866-1877, p. 1113.

[44] Delahaye, op. cit.

[45] Dont il existait une « série de cinq ou six poèmes en prose » écrits, toujours selon Delahaye. Jean-Jacques Lefrère, op. cit., p. 475.

[46] Sainte-Beuve, « De la littérature industrielle » dans la Revue des Deux Mondes, septembre 1839.

[47] Pascal Durand, « De la littérature industrielle au poème populaire moderne. Filtrages médiatiques et littéraires de la culture de masse au XIXe siècle » dans Jean-Yves Mollier, Jean-François Sirinelli, Culture de masse et culture médiatique en Europe et dans les Amériques (1860-1940), Paris, Presses Universitaires de France, 2006.

[48] Cela n’est pas sans rappeler l’ouverture d’Une saison en enfer où le narrateur écrit : « je vous détache ces quelques hideux feuillets de mon carnet de damné ».

[49] Le poète « donne forme » (ou de l’informe) écrivait-il, dans sa Lettre dite du Voyant à Georges Izambard, du 13 mai 1871, et de lier cela à l’exercice de « faire sentir, palper, écouter ses inventions (…). Trouver une langue ». La langue justement qui manquerait au « sans forme » (ni forme ni informe) des cours et des fantaisistes ?

[50] « … histoire de l’univers, [les] sciences des choses et [les] annales des hommes. (…) Sorte de philosophie naturelle, une explication large et superbe de l’homme et de la nature » dans Émile Zola, « Livres d’aujourd’hui et de demain » dans Le Gaulois : littéraire et politique, 16 février 1869, p. 3.

[51] Probablement s’agissait-il de la nouvelle édition populaire de 1869 ; l’édition originale date de 1863 et connut un vif succès, en grande partie grâce aux dessins de Doré.

[52] Arthur Rimbaud, « Lettre à Georges Izambard du 25 août 1870 » dans op. cit., p. 18.

[53] Steve Murphy, Rimbaud et la Commune. Microlectures et perspectives, op. cit., Kristin Ross, op. cit., Frédéric Thomas, « Commune de Paris », Dictionnaire Rimbaud, Paris, Classiques Garnier, à paraître.

[54] Ainsi, Andrieu évoque « la période tyrannique et fabuleuse » d’une partie de l’Italie du temps de Pythagore. Jules Andrieu, Philosophie et morale, op. cit., p. 7, 70, 74, 156.

[55] Yves Reboul, Rimbaud dans son temps, Paris, Classiques Garnier, 2009, p. 69.

[56] Pierre Laforgue, Politiques de Baudelaire. Huit études, Paris, Eurédit, 2014.

[57] Jules Michelet, Discours sur le système et la vie de l’auteur, dans Giambattista Vico, Principes de la philosophie de l’histoire, Paris, J. Renouard, 1827.

[58] Jules Andrieu, Histoire du moyen âge, Paris, Bureaux de la publication, 1866, p. 57. Sauf indications contraires, les citations proviennent de ce livre.

[59] De même qu’il avait usé stratégiquement de la publicité dans « Paris » de l’Album zutique. Robert St.Clair, « “Soyons chrétiens !” ? Mémoire, anticapitalisme et communauté dans Paris », La Poésie jubilatoire. Rimbaud, Verlaine et l’Album zutique, dir. Seth Whidden, Classiques Garnier, 2011, p. 241-259.

[60] « La poésie de Rimbaud mélange l’utile et le somptueux, l’artistique et l’artisanal, les métaux précieux et la camelote ». Kristin Ross, op. cit., p. 37.

[61] Notamment d’Alain Bardel, Pierre Laforgue, Steve Murphy, Yves Reboul, Robert St.Clair.

[62] De même dans son poème, « Les partageux », qu’il avait lu à Londres pour le troisième anniversaire de la Commune, soit quelques jours avant que Rimbaud ne revienne dans la capitale britannique, Vermersch écrit à propos des vainqueurs :

« Regarde, O vieille Europe, ouvre les yeux surpris

Contemple en sa splendeur la horde triomphante ».

[63] Ou pointer vers la stratégie d’écriture de Flaubert dans Salammbô ? « La narration de Salammbô est profondément marquée à la fois par l’imagerie fantastique, les splendeurs de l’Orient et des images d’une extrême brutalité ». Gesine Hindemith, « La matière féerique dans Salammbô », Flaubert [Online], 11 | 2014, consulté le 24 septembre 2018. URL : http://journals.openedition.org/flaubert/2274.

[64] Dans quelle mesure ces « morceaux […] détachés », cette poétique du fragment font-ils écho au texte de présentation du Spleen de Paris, la lettre « À Arsène Houssaye » ?

[65] Images que l’on trouve par exemple dans Salammbô. On pense également aux « histoires atroces » que Rimbaud disait encore chercher à inventer dans sa lettre à Ernest Delahaye de mai 1873, depuis « Laïtou ».

[66] Alain Bardel, « Face au cauchemar de l’histoire. Sur l’empreinte de la Semaine sanglante dans l’imaginaire rimbaldien » dans Steve Murphy (dir.), Lectures des Poésies et d’Une saison en enfer de Rimbaud, Rennes, PUR, 2009, p. 181-182.

[67] « Tout le décor dont, en esprit » (« Délires I ») le mythe du progrès s’entoure ?

[68] Robert St.Clair, « Le Moderne absolu ? Rimbaud et la contre-modernité », Nineteenth-Century French Studies, Volume 40, 2012, p. 317.

[69] Pierre Laforgue, « Mauvais sang, ou l’histoire d’un damné de la terre (quelques éléments pour une sociocritique d’Une saison en enfer) » dans Lectures des Poésies et d’Une saison en enfer de Rimbaud, op. cit., p. 251-265.

[70] Jules Andrieu, Notes pour servir à l’histoire de la Commune de Paris de 1871, Payot, 1971 ; Karl Marx, La guerre civile en France, Le Temps des cerises, 2011.

[71] Steve Murphy, « “Ce que les Juifs n’ont pas vendu”. Notes en marge de Solde », Parade sauvage n°27, 2016, p. 59-80.

[72] Karl Marx, Le Capital. Livre I, Paris, Garnier Flammarion, 1969.

[73] « Quelle mémoire aurons-nous des révoltes ? Rimbaud au miroir des révoltes logiques (1975-1981) », Parade sauvage, n° 26, Classiques Garnier, Paris, 2016, p. 141-158. Dans le même esprit, Andrieu écrit : « ce ne sont pas les hommes qui font la Révolution ; c’est la fatalité et la Fatalité use vite hommes et choses ». Jules Andrieu, Notes pour servir à l’histoire de la Commune de Paris de 1871, Payot, 1971, p. 165.

[74] Que l’on pense aux « Incendiaires » de Vermersch, à Vision de Versailles de Lissagaray, à plusieurs poèmes de Rimbaud. Walter Benjamin distinguait l’historien du chroniqueur ; le premier s’identifie, cherche à reconstruire dans l’homogénéité, tandis que le second construit ; ce qui suppose aussi une part de destruction. Et, au bas du poème Ville, qu’il avait entièrement recopié, il avait écrit : « désensorcellement de la « modernité » ! ». Walter Benjamin, Paris. Capitale du XIXe siècle. Le livre des passages, Paris, Le cerf, 2009, p. 47. Sauf indications contraires, toutes les citations proviennent de ce texte.

[75] Jules Andrieu fut ainsi, à Londres, injustement calomnié, diffamé par d’autres communards, qui allèrent jusqu’à moquer son infirmité ; il était borgne. Le 31 août 1872, dans La Fédération, un journal des proscrits de Londres dont le rédacteur en chef était Vésinier, un article d’Oudet était paru désignant Andrieu comme « le Cyclope, le monstre de la minorité de la Commune ». Andrieu répliquera dans deux articles, « La loyauté des sectaires », parus dans l’union Démocratique des 6 et 12 septembre 1872, demandant que l’affaire se règle devant un juré populaire composé de proscrits. En vain. Verlaine, qui était arrivé à Londres avec Rimbaud, début septembre, y fait référence dans sa correspondance. En octobre 1872, il écrit ainsi à Edmond Lepelletier : « Les communards sont tous égaillés dans les faubourgs où ils se tiennent tranquilles, sauf Oudet, Landeck et Vésinier, récemment exécutés dans une assemblée générale des Proscrits et qui font un bien bon journal, La Fédération, qu’on dit soutenu par Badingue. Est-ce vrai ? Moi, je m’en fous, étant bien résolu à fréquenter le moins possible ces messieurs ». Michael Pakenham, op. cit., p. 258-259.

[76] Murphy, op. cit. (2010). Le 22 mai 1872, dans le journal de Vermersch, L’Union Démocratique, une annonce priait « instamment » tous les réfugiés de la Commune d’assister le lendemain soir à une assemblée générale pour discuter d’« un projet d’enquête générale sur la Révolution sociale du 18 mars, en réponse aux calomnies de l’enquête versaillaise », L’Union Démocratique, n°132, mercredi 22 mai 1872, p.1.

[77] Voir le commentaire d’Alain Bardel sur le site « Arthur Rimbaud, le poète », URL : « http://abardel.free.fr/petite_anthologie/adieu_commentaire.htm ». Consulté le 24/09/2018.

[78] Frédéric Thomas, Rimbaud révolution, op. cit.

[79] Walter Benjamin, op. cit.

[80] Frédéric Thomas, « Soir historique », Dictionnaire Rimbaud, op. cit.

[81] Steve Murphy, « Deux rêveries de couples promeneurs » dans Rimbaud, Verlaine et zut. À la mémoire de Jean-Jacques Lefrère, Paris, Garnier, à paraître.

[82] Steve Murphy, « La modernité rétrograde d’une ville » dans Rimbaud « littéralement et dans tous les sens ». Hommage à Gérard Martin et Alain Tourneux, Classiques Garnier, 2012, p. 227-44.

[83] Annick Louis, « Homo explorator. L’écriture “non littéraire” d’Arthur Rimbaud, Lucio V. Mansilla et Heinrich Schliemann » dans Revue de littérature comparée, 2007/4 (n° 324), p. 438-59.