PS 33: Avant-Propos

Avant-propos   

Vous tenez, chers lecteurs et chères lectrices, entre vos mains la trente-troisième livraison de la revue Parade sauvage – numéro qui sort de presse au moment même où nous nous apprêtons à marquer le sesquicentenaire de la publication (aux frais toutefois de son auteur) du chef-d’œuvre que fut, et que demeure, Une Saison en enfer. Nous osons espérer que, tout comme nous, vous vous réjouirez de constater en parcourant le présent numéro que la situation actuelle des études de l’œuvre de ce « passant considérable » de Charleville ne perd en rien son souffle : tant s’en faut, elle est plus vivace et active, plus répandue globalement et plus pluridisciplinaire ainsi que méthodologiquement stimulante que jamais. Ainsi, vous trouverez en ouverture de ce trente-troisième numéro de Parade sauvage une étincelante intervention de la plume du fondateur de la revue autour de la polyphonie, les enjeux de la parodie et le topos de la crise du lyrisme, lesquels posent dans un rapport malicieusement et ironiquement intertextuel « Le Cœur volé » ainsi que ses variantes avec Baudelaire (et, au premier chef, « L’Albatros ») ou Corbière. Vous découvrirez par la suite une étude tout aussi lumineuse de la temporalité révolutionnaire et le problème du kairos dans la Saison signée d’une comparatiste de Stanford (Victoria Zurita) ; une cartographie tropologique et intertextuelle exhaustive des « Mains de Jeanne-Marie » (Marc Dominicy) ; un état de la question écopoétique se penchant sur la présence de l’isotopie florale chez le premier Rimbaud (Karen Quandt) ; une lecture d’« Alchimie du verbe » qui la positionne en dialogue avec la lettre du 16 avril 1874, adressée à Jules Andrieu et dans laquelle Rimbaud évoqua cette énigmatique et éphémère projet pour un volume de poèmes en prose qui se serait intitulé L’Histoire splendide (Alain Bardel); une archéologie communarde et benjaminienne des « Corbeaux » qui insiste sur la nécessité dialectique de l’expérience de l’histoire comme échec pour toute politique et/ou poétique à-venir (Frédéric Thomas) ; une étude du rapport Rimbaud-Hugo dans le poème-fragment « H » (Gilles Lapointe), de même qu’une microlecture du spectre de la Commune dans les Illuminations (Rafika Hammoudi). Figurent aussi, dans les pages qui suivent, une série de singularités relatives à un possible intertexte balzacien dans « Michel et Christine » (Circeto), à d’éventuels échos rimbaldiens aux articles de La Vie parisienne (Geneviève Hodin), aux rouages et logiques de la première phrase d’Une Saison en enfer (Paul Claes) ou à l’inscription d’une double violence, poétique ainsi que politique, à travers le motif des « poucettes » dans « Les Mains de Jeanne-Marie » (Alain Chevrier). Le présent volume propose également un retour crucial sur la prétendue attribution des Illuminations à Germain Nouveau (Cyril Lhermelier et Yalla Seddiki), prolégomène passionnant à une ambitieuse étude définitive sur la question.  

Depuis plusieurs livraisons, le seuil qu’est l’avant-propos de Parade sauvage assume malgré lui une pénible fonction nécrologique.  L’année qui vient de se clore ne nous a pas épargné plusieurs pertes parmi les amis, collègues et collaborateurs de Parade sauvage. 2022 fut marqué par la disparition de Marc Ascione, qui insuffla une vitalité dans le domaine des études rimbaldiennes : ses travaux autour des conditions matérielles, culturelles, et linguistiques dans les productions rimbaldiennes (parmi lesquels l’important article sur « Les “zolismes” de Rimbaud », en 1973, en collaboration avec J.P. Chambon) ont marqué des générations de chercheurs. Peu avant son décès, Marc Ascione avait composé pour Parade sauvage un dernier compte rendu, que nous publions ici avec émotion ; le prochain numéro de la revue contiendra un dossier spécial d’hommage, coordonné par Steve Murphy. Nous avons aussi été bouleversés d’apprendre le décès brutal de Jean-Pierre Bertrand, éminent spécialiste de l’œuvre de Laforgue, inter alia ; nous avions eu le plaisir et la fierté de voir paraître dans la précédente livraison de Parade sauvage un texte dont nous ne pouvions deviner qu’il serait l’un de ses derniers, portant sur la question des influences chez Rimbaud. Comment parler de telles pertes — d’êtres, de mondes, de sens ? Comment maintenir avec l’autre (avec ce qu’il ou elle ont désormais de tout autre, la nature totalement indialectique, sans appel, d’une disparition) ce rapport vital, essentiel, qui continue à nous relier les uns aux autres, qui continue à nous faire vivre, vibrer, lire, et réfléchir ? C’est en partie pour tenter de relever ce défi que ce trente-troisième volume de Parade sauvage se clôt sur un témoignage in memoriam à Jean-Pierre Bertrand signé par Denis Saint-Amand qui ne rentre pas dans (in) ses souvenirs afin de faire le point d’une vie désormais passée, mais pour esquisser un tableau vif et vivant d’un être cher qui lui ouvrit, à un moment crucial, tout un monde de réflexions, lectures, pensées, et d’amitiés possibles.  

Robert St.Clair et Denis Saint-Amand